Diplômée de l’Université Catholique de Louvain en médecine et de l’Université de Nancy en Santé Publique, ex-directrice du Programme National de Lutte contre la Tuberculose (PNLT) et retraitée de l’Organisation Mondiale de la Santé, le Dr Henriette Kasandji Wembanyama, actuellement présidente du conseil d’administration du Pont Santé Afrique (POSAF), nous livre ses ambitions de départ lors de la création de Pont Santé Afrique (POSAF), et quelques précieux conseils pour les femmes congolaises désirant évoluer dans leur carrière professionnelle, notamment en R.D. Congo.
Pourquoi avoir créé Pont Santé Afrique ?
« J’ai fondé POSAF pour répondre aux besoins en termes de lutte contre les grandes maladies (tuberculose et VIH) en RDC. Durant ma carrière, que ce soit en tant que directrice du programme (PNLT), et plus tard à l’OMS, d’où je suis retraitée depuis 4 ans, j’avais constaté un certain nombre de besoins que l’État, malgré tous ces efforts ne pouvait pas combler, du moins pas tout de suite. Or, comme dans toute société, la société civile peut aider à combler ces besoins. C’est donc dans ce but là que j’ai fondé cette association. Parce qu’il y a un vrai problème de ressources humaines dans la lutte contre la maladie en général, et contre ces 2 maladies en particulier. »
« Ainsi, les actions phares de POSAF consistent à : renforcer les capacités des acteurs de santé à lutter contre les maladies et en particulier contre la tuberculose et le VIH sida ; aider le gouvernement à mobiliser plus de ressources humaines pour lutter contre cette maladie ; Et aider le pays à générer des évidences pour lutter contre la maladie, ça veut dire faire de la recherche opérationnelle. »
Pourquoi la tuberculose ?
« J’ai toujours travaillé dans la tuberculose. C’est mon domaine de prédilection. J’ai une certaine expérience là-dedans. Je peux tout faire bien sûr, mais je pense que c’est bien d’être focalisé. Et donc la tuberculose c’est mon premier domaine, et ensuite le VIH sida. »
« À côté de ça, même si ça peut ne pas paraître évident, c’est aussi un problème d’amour avec la tuberculose… Je dis d’amour parce que la tuberculose m’a impactée dans ma vie, dans ma jeunesse. »
[Ici elle évoque la maladie d’un proche atteint de tuberculose et qui avait dû être complètement isolé du reste de la famille. L’expérience de l’isolation a profondément marqué la petite fille d’alors]
« Et donc je continue à lutter contre la tuberculose parce que j’ai été personnellement affectée par cette maladie. »
Quels sont les enjeux ou les difficultés des femmes dans le secteur sanitaire en RDC de manière générale, ou dans le secteur associatif, que vous avez pu relever durant votre carrière?
« Une des choses qui m’a poussé à créer cette association, c’est le désir de donner la possibilité aux femmes de continuer à travailler tout en étant pas trop éloignées de leur famille.
Parce qu’évidemment, en tant que femme, je l’ai vécu moi-même, notamment durant ma carrière à l’OMS, où je suis partie longtemps loin de ma famille. »
« La difficulté d’être une femme, c’est qu’en voulant prendre des responsabilités du point de vue carrière, on met aussi en balance ce qu’on doit à sa famille. On abandonne parfois sa famille, souvent on est obligé de faire le choix, de dire « je vais partir pour travailler », et ça ça pose beaucoup de problèmes pour les femmes. »
« Pour les hommes en général, la société est faite de façon à ce que, quand ils partent, ce ne soit pas un problème : la femme suit ou elle attend. Mais une femme qui commence une carrière ou qui est dans une carrière internationale (ou nationale d’ailleurs, parce que même dans ces conditions, elle bouge beaucoup), elle a du mal à partir et à laisser une famille. Et surtout on sait le rôle qu’elle doit jouer auprès de sa famille. »
« Et donc, en créant cette association, je me suis dit que j’allais donner la possibilité aux femmes de combler un petit peu cela, de résoudre un tant soit peu cette problématique, leur donner la possibilité de faire carrière dans leur propre pays, et en même temps s’occuper de leur famille. Et ça, la question du genre et de la femme, ici au Pont Santé Afrique, nous y sommes très sensibles. Et d’ailleurs c’est simple, il y a plus de femmes que d’hommes. Je dois même ajouter que les femmes en général, étant habituées à s’occuper des autres, font parfois mieux le travail que les hommes [rires]. Mais je fais quand même un clin d’œil aux hommes que nous aimons beaucoup, parce qu’ils nous ont aidé aussi à bâtir Pont Santé Afrique. »
Un conseil pour les femmes qui voudraient avoir une carrière comme la vôtre ?
« Le conseil que je pourrais donner aux femmes est que cela demande beaucoup de sacrifices. Mais j’ai tendance à dire, il n’y a pas que les femmes qui font des sacrifices, les hommes aussi. Donc je pense qu’il y a moyen de faire les deux, d’équilibrer les choses, et de ne pas abandonner un côté pour juste s’appuyer sur l’autre. Et surtout, je parle aux africaines, il y a possibilité de travailler et de s’occuper de sa famille. Donc allez-y! D’ailleurs le thème de cette année c’est le leadership de la femme. Eh bien, allez-y parce qu’il y a une possibilité de faire les deux. Et qu’elles n’oublient pas : la population et la société congolaise ont besoin d’elles. »
Quel parcours!